Opérant dans le domaine des services financiers à l’endroit des populations du milieu rural, Patricia Zoundi est également une passionnée de l’agriculture qu’elle développe de façon durable. Sa pire journée d’entrepreneur, ses challenges, ses motivations et mentors… elle nous en parle dans cet entretien.
Pouvez-vous nous présenter QuickCash ?
QuickCash est une structure de transfert d’argent à l’origine orientée vers le monde rural. Mais aujourd’hui, nous sommes en pleine mutation pour fournir des solutions de paiement électronique pour les petits marchands également en milieu rural. Voici ce que nous faisons. Nous sommes également spécialisés dans la digitalisation de tout ce qui est paiement de récolte pour permettre aux agriculteurs de recevoir le paiement de leurs récoltes de manière électronique pour éviter tout ce qui est risque de perte, de vol, de braquage pendant la période des récoltes et même parfois de pertes en vies humaines. Durant la période de traite, vu la recrudescence des braquages et du banditisme, c’est une période de peur pour les paysans. Nous nous engageons pour l’inclusion financière pour le monde rural, les populations en bas de la pyramide, non bancarisées ou sous-bancarisées.
Comment cela se manifeste sur le terrain concrètement
Ce sont des coopératives qui disposent d’interfaces que nous mettons à leur disposition et à partir de cette interface, elles peuvent faire des paiements de masse dans le porte-monnaie électronique de ces agriculteurs… mais cela a un goût d’inachevé car il va falloir que l’agriculteur convertisse cette monnaie en cash. Nous avons donc réglé une partie du problème mais pas tout le problème. C’est pour cela que nous travaillons pour qu’une acceptation de cette monnaie chez les petits marchands dans les villages soit effective. Que cela représente vraiment de la valeur. C’est comme si vous donnez une carte magnétique à quelqu’un dans un endroit où il n’y a pas de guichet, il ne va pas l’utiliser. Nous sommes donc entrain de travailler pour que dans leur environnement les petites boutiques puissent accepter cette monnaie. C’est en ce moment que nous aurons créé plus de valeur pour le paysan. Qui voit cet argent électronique mais qu’il peut faire accepter chez le boutiquier. Il s’agit en fait de vulgariser cette monnaie. Et c’est cela pour nous le gros challenge. Ce n’est pas évident car ce sont des ressources propres qu’il faut mobiliser, c’est sur une cible qui majoritairement n’a pas un niveau de scolarisation assez élevé et c’est beaucoup de travail. En fait c’est comme une mission, un sacerdoce.
« En huit années d’existence, QuickCash, c’est plus d’un million de transactions traitées et plus de 600 emplois directs et indirects créés»
Quel est aujourd’hui l’impact de QuickCash et depuis combien d’années existez-vous ?
Nous avons soufflé notre huitième bougie le 1er juillet 2018. Donc huit ans que nous sommes formalisés. Mais on avait été créé deux ans avant. Donc cela fait dix années que nous sommes en activité. En termes d’impact, c’est plus d’un million de transactions que nous avons pu traiter. C’est l’accessibilité de certains services à des populations qui jusque-là sont exclues. C’est également une réduction du taux de vol et de braquage. En termes d’emplois indirects, nous en sommes autour de 600 quand nous avons pu créer 20 emplois directs. Après, c’est tout ce qui est facilitation du quotidien pour le monde rural et on essaie chaque jour de s’adapter à une problématique bien précise parce que j’avoue que dans ce domaine, il y a trop de choses à faire.
Comment décririez-vous votre pire journée en tant qu’entrepreneur
La pire journée, c’est de se rendre compte qu’on n’a ajouté aucune valeur au client. Se rendre compte que les produits sont obsolètes, qu’on n’arrive pas à satisfaire les besoins des clients, pour moi c’est la pire des journées pour un entrepreneur. C’est-à dire savoir que ceux pour qui nous sommes censés créer de la valeur, nous n’arrivons pas vraiment à les satisfaire. Maintenant tous les autres, c’est vraiment le quotidien d’un entrepreneur
Quelles leçons tirez-vous de ces journées où vous n’arrivez pas à satisfaire vos clients ?
La leçon à en tirer, c’est de travailler, chercher à innover, répondre aux besoins et anticiper sur les besoins futurs. Et c’est cela le vrai challenge. Comment on arrive à anticiper sur le besoin futur du client. C’est vraiment cela le plus gros challenge. Après, il y a tous les challenges inhérents à toutes les PME, en termes de ressources humaines, de financement, du marché… mais ce sont des challenges communs à toutes les PME et chacun arrive à les résoudre. Pour moi ainsi, gros challenge veut dire grosse opportunité, beaucoup de travail, beaucoup de réflexion… et finalement on se rend compte qu’il faut mettre en place un processus d’innovation parce que si les produits restent en l’état actuel, ils seront toujours obsolètes. C’est un travail perpétuel. Mais pour une PME, on est conscient qu’il faut plus d’organisation, plus de ressources…
«Face aux challenges, il ne faut pas abandonner (…) Il faut savoir s’entourer de mentors pour nous aider»
En plus de QuickCash, on vous retrouve également dans l’agriculture. Pouvez-vous nous en dire plus ?
L’agriculture, c’est une passion pour moi. Mais il y a environ deux ans que je l’ai transformée en véritable business et je me suis rendu compte qu’il y a beaucoup de choses à faire dans l’agriculture. Au niveau de l’agriculture, nous sommes dans la production sur-mesure pour des clients spécifiques. Nous nous concentrons sur les produits importants que nous cultivons localement. Nous ne voulons pas faire de concurrence directe aux femmes du village qui ont du mal à faire du bénéfice. Nous sommes plutôt orientés vers le chou-fleur, la betterave, les petits pois, les fraises… ce sont ces produits que nous essayons de cultiver mais localement avec les femmes des villages pour les amener à regarder vers d’autres cultures qui ont plus de valeur et qui pourraient les amener à avoir plus de revenus.
Quel est le dernier conseil que vous aurez pour les entrepreneurs ?
(Rires) qu’est-ce que je peux dire comme conseils alors que moi-même, j’en cherche. S’il a déjà fait le choix d’être entrepreneur, c’est qu’il savait avec quoi il y allait. De ne pas abandonner, c’est ce que je retiens. Face aux challenges, il ne faut pas abandonner. Il faut se faire entourer, j’ai la chance d’être entourée par des personnes formidables qui m’aident. J’ai par exemple un coach qui s’appelle Constantin Salamé qui a été coach dans le programme de Stanford (ndlr. Stanford Seed Program) avec qui je suis restée très proche et qui vraiment m’appuie dans les challenges que je rencontre. Parce que je veux dire qu’à chaque phase du développement d’une entreprise, vous avez des challenges. Quand vous êtes au stade de démarrage, il y a des challenges liés au démarrage. Quand vous êtes en phase de croissance, il y a des challenges liés à la phase de croissance. Et quand ces challenges ne sont pas bien maîtrisés, vous amorcez difficilement ce passage d’une étape à une autre. Moi, je pense qu’il faut savoir s’entourer. Il faut surtout partager ses expériences. C’est quelque chose qu’on ne fait pas souvent. Moi quand je partage mes expériences avec mes coachs, je me rends compte aussi qu’à un moment soit dans les grandes entreprises mondialement connues dans lesquelles ils ont travaillé ou leurs parcours, ils ont eu les mêmes challenges que nous. En partageant avec eux, ils ont l’opportunité de nous dire à un moment ou à un autre, voici le challenge qu’on a eu. Comment nous avons essayé d’y remédier. C’est vraiment pratique parce que c’est un vécu ce n’est pas théorique. Je pense qu’on ne partage pas souvent sur nos challenges. Moi, j’ai découvert un exercice très intéressant où des dirigeants d’entreprises s’asseyent et l’un d’entre eux parle de ses challenges et puis les autres écoutent. Ne jamais abandonner mais plutôt revoir la stratégie. J’ai pour habitude de dire que la stratégie, c’est nous qui l’écrivons, ce n’est pas un livre saint. Si à un moment donné, on voit qu’on fonce dans le mur, on le redirige pour pouvoir véritablement prendre le bon chemin.